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    Ma mère a un ami… pour mon malheur !

    C’est un monsieur (appelons-le « Machin ») de 95 ans. Elle l’a connu avant son mariage (mon père et Machin étaient eux-mêmes amis), elle avait moins de 30 ans à l’époque. Ils ne se sont jamais complètement perdus de vue.

    Aujourd’hui, il habite à trente ou quarante kilomètres de chez elle. Ils ne se sont plus vus depuis quatorze ans mais ils se téléphonent très souvent.

    Le problème est que ma mère n’a confiance qu’en lui. Pourquoi ? Est-ce parce que désormais, les seuls souvenirs qu’il lui reste sont les souvenirs anciens, de jeunesse ? Je l’ignore.

    Bref, il a pris un énorme ascendant sur elle, et il me pourrit la vie.

    Il s’est persuadé apparemment que j’étais une mauvaise fille et que j’en voulais à l’argent de ma mère. Pour quelles raisons ? Sans doute des choses que ma mère dit sur moi : elle est convaincue que je ne m’occupe pas d’elle et que je la laisse sans nouvelles des semaines alors que je l’appelle chaque matin et que nous allons la voir régulièrement.

     

    Fort de son « bon droit » (il est un vieil ami, c’est un ancien magistrat), il monte ma mère contre moi depuis des années, je le réalise peu à peu. Quelques exemples :

    — Quand il est devenu évident que ma mère avait de gros problèmes (et non de simples « trous de mémoire dus à l’âge » comme elle l’affirme et comme l’affirme Machin), j’ai essayé de faire certaines choses.

    J’ai entre autres discuté avec son médecin et nous avons décidé qu’il serait bien qu’elle aille à une « consultation-mémoire ». Son toubib a pris rendez-vous pour elle et mon mari et moi l’avons emmenée. Il y a eu une première évaluation.

    Mais il aurait fallu poursuivre les examens et les investigations… et évidemment, ma mère en a parlé à Machin. Celui-ci lui a dit qu’elle allait très bien, que tout ça était inutile… et elle a annulé les rendez-vous suivants.

    Je suis bien consciente que ça n’aurait probablement rien changé à son état car on ne sait pas soigner ces maladies. Mais on aurait au moins su où elle en était, et il y avait peut-être des stratégies à mettre en place pour ralentir l’évolution de la pathologie, comme des ateliers-mémoire par exemple.

    — Il y a deux ans et demi, ma mère a été hospitalisée après une overdose accidentelle de médicaments (elle prenait ses médicaments, oubliait qu’elle les avait pris, les reprenait, etc. Depuis, ce sont des infirmières qui viennent deux fois par jour les lui donner).

    Par égard pour lui, j’ai prévenu son ami. Un jour où il essayait de la joindre au téléphone sans y parvenir (il s’était en fait trompé de numéro), il m’a appelée, furieux, en me disant qu’on séquestrait ma mère (sous-entendu « je » faisais séquestrer ma mère), que c’était inadmissible d’isoler ainsi une personne âgée, qu’il allait saisir le procureur…

    Je lui ai redonné le numéro, expliqué l’état de ma mère… il est arrivé à lui parler et n’a plus insisté. Mon mari m’a dit que j’avais eu un mauvais réflexe, que j’aurais dû le laisser saisir le procureur, qu’il se serait ridiculisé une bonne fois pour toutes et que j’aurais été tranquille.

     — Les médecins de l’hôpital étaient d’accord pour que ma mère rentre chez elle sous certaines conditions comme la présence d’infirmières pour les médicaments, et la suppression du gaz. J’ai donc contacté Engie, fourni des certificats médicaux, et le compteur a été « déposé ».

    Quand ma mère s’en est rendu compte (alors que je le lui avais expliqué), elle a appelé Machin qui fou de rage, lui a dicté une lettre pour Engie afin qu’on rétablisse le gaz.

    J’ai passé des heures à rattraper ça, il a fallu des lettres, des coups de fil, de nouveaux certificats médicaux.

    Et aujourd’hui, Machin a le culot de me dire : « C’est une bonne chose que ta mère n’ait plus le gaz ».

    — Quand j’ai vu qu’elle commençait à faire n’importe quoi avec son argent, j’ai tenté de la persuader de me donner une procuration. Ça m’aurait permis de surveiller de loin par internet ce qu’elle faisait et d’intervenir si besoin.

    Des voisins et amis en qui j’ai toute confiance (et qui eux la voient quotidiennement) ont insisté dans le même sens. Elle avait l’air décidé, m’a fait prendre rendez-vous avec la banque… puis elle a téléphoné à Machin qui lui a dit qu’elle ne devait surtout pas me donner de procuration, que j’allais vider son compte !

    Du coup, elle m’a fait annuler le rendez-vous et a continué à faire n’importe quoi.

    Je précise qu’il m’a connue petite fille et me tutoie, alors que je le vouvoie, ce qui fait que je me sens toujours comme une gamine avec lui et que je n’ose pas le traiter comme il le mériterait.

     

    Désormais, pas mal de personnes sont au courant que ma mère est sous tutelle et que je suis sa tutrice, et tout le monde trouve ça très bien.

    Lui par contre n’est pas au courant. Je me suis dit qu’il était capable de me mettre des bâtons dans les roues. Ça n’aboutirait à rien pour lui mais ça compliquerait encore plus ma vie.

    Lors de mon audition par la juge, j’ai quand même signalé l’existence de Machin et ses relations avec ma mère. Ça n’a pas eu l’air d’émouvoir la magistrate qui m’a dit que s’il le voulait, il lui écrirait, qu’elle le recevrait, lui demanderait depuis quand il n’avait plus vu ma mère (14 ans donc), qui il était par rapport à elle… et ce serait réglé.

    Je dis qu’il n’est pas au courant… quoique. Ma mère ne reçoit normalement plus de papiers administratifs mais il est arrivé un ou deux documents de sa banque (notamment concernant sa nouvelle carte bleue qui est désormais une carte de retrait plafonnée). Or, son compte mentionne « Madame… sous tutelle de Madame… ».

    Elle a lu ça et bien sûr… a appelé son ami.

    Je pense qu’il subodore qu’une mesure a été prise à son égard. Elle m’a laissé plusieurs messages furibonds où elle me lisait ce qu’il lui avait dicté : « Machin dit qu’on ne peut mettre quelqu’un sous tutelle que par un jugement : il veut voir le jugement, etc. »

    Lui-même m’a appelée il y a environ une semaine. J’avais décidé de ne plus lui répondre mais je me suis fait piéger car il a téléphoné d’un portable.

    Il m’a posé plein de questions sur la carte bleue de ma mère, puis m’a demandé abruptement si elle était sous tutelle. J’ai été prise de court et lui ai répondu que non.

    Je me dis finalement que j’ai eu raison et que ça ne le regarde pas.

    Depuis, il ne semble pas oser me rappeler (j’ai été pour la première fois de ma vie sèche avec lui au téléphone, et sans lui raccrocher franchement au nez, j’ai mis un terme un peu brutalement à la conversation). Mais ma mère me harcèle en me rapportant ce que dit son ami. Il y a deux ou trois jours, elle m’a même demandé le nom du juge des tutelles : c’est Machin qui voulait savoir. J’ai seulement répondu que je ne connaissais le nom d’aucun juge.

     

    Cette histoire me rend folle. Ce type a fait du mal à ma mère (elle n’a pas été soignée dans de bonnes conditions) et aujourd’hui, il m’en fait à moi. Je suis certaine que s’il n’était pas là, elle ressasserait moins tout ça et serait plus calme. Mais je pense que chaque fois qu’ils s’appellent, il remet ces questions sur le tapis (« Alors, tu as demandé à ta fille ? Tu es sous tutelle ou non ? »).

    Comme si je n’en avais pas assez de me débattre avec les administrations, de passer des heures au téléphone, il faut en plus que j’essaie de neutraliser Machin et son pouvoir de nuisance.

     

    Pourquoi fait-il ça ? Il est très âgé, seul et s’ennuie de son propre aveu. Je pense qu’il s’est trouvé une occupation, voire même une cause à défendre. Mais c’est hallucinant le nombre de personnes qui se mêlent des affaires des autres sans rien connaître des situations réelles.

    Je me suis mise à haïr cet homme au point qu’il me vient parfois des pensées inavouables.

    Ces deux-là se sont retrouvés veufs à un ou deux ans d’écart. Ils n’auraient pas pu se marier ? Ils aiment la poésie tous les deux, ils auraient pu se réciter des poèmes toute la journée, et ils m’auraient fichu la paix ! Et aujourd’hui, ma vie serait peut-être plus simple. J’aurais certes un beau-père taré, mais on ne vivrait plus dans la hantise des sonneries de téléphone.

     

     


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    Quand j'ai commencé à tenir ce blog, je me suis fait une règle de ne jamais parler de moi et de m'en tenir à l'alimentation, aux recettes. Je n'ai ainsi jamais mentionné mon nom, mon métier, l'endroit où j'habite, donné des détails sur ma vie. 

    Aujourd'hui, j'ai envie de faire une exception. Parce que je vais mal et qu'écrire les choses noir sur blanc (ou plutôt noir sur jaune), me fera peut-être (je précise "peut-être") du bien.

     

    Ma mère est atteinte depuis quelques années d'une démence (qui selon les médecins, ne serait pas Alzheimer). Son entourage et moi-même avons vu peu à peu son état se dégrader jusqu'à devenir ingérable. Notamment pour tout ce qui concerne ses papiers, la banque, elle s'était mise à faire n'importe quoi.

    Je ne souhaite pas que ma mère soit "placée" : elle vit seule mais a toujours pour le moment certains gestes automatiques du quotidien. Elle se douche tous les matins, porte des habits propres, est capable de s'acheter à manger...

    La prendre avec nous ? Nous habitons à près de 150 kilomètres d'elle et quand bien même ce serait possible matériellement (ça ne l'est pas vu la taille de notre logement), j'avoue que je m'en sentirais totalement incapable. 

    J'ai dû me résoudre à faire une demande de protection juridique pour au moins toutes les questions administratives ou financières, et à la fin de l'année dernière, elle a été mise sous tutelle.

    Sauf que...

    Alors que je ne le souhaitais pas et l'avais dit, lors de mon audition, la juge m'a désignée comme tutrice. Il n'y a pour les magistrats que deux possibilités : soit la tutelle est exercée par un membre de la famille (et je suis la seule famille proche de ma mère), soit par un tuteur professionnel. Or j'ai appris depuis que vu la multiplication des pathologies type Alzheimer, ces derniers ne sont plus assez nombreux. Et si je ne doute pas que certains fassent bien leur métier, d'autres auraient une gestion disons "désinvolte" des "majeurs protégées" (c'est le nom officiel). 

    Je me rends compte aujourd'hui qu'en fait, quand je suis entrée dans le bureau de la juge, elle avait DÉJÀ pris sa décision : ce serait moi. 

    Depuis, ma vie est devenue un enfer. La tutelle est la forme la plus lourde de protection juridique. La personne perd quasiment tous ses droits qui sont transférés au tuteur. Il faut ainsi prendre possession des comptes en banque, contacter l'intégralité des organismes avec lesquelles la personne est en contact, fournir des quantités de pièces qui ne sont pas les mêmes pour toutes les administrations (ce serait trop simple), plafonner les dépenses, toujours en agissant au mieux des intérêts du majeur.

    Et tout cela en sachant que chaque démarche sera contrôlée par un magistrat et que chaque euro dépensé sera scruté et devra faire l'objet d'une justification. 

    Je me heurte en permanence à la mauvaise volonté de mes interlocuteurs. La banque a commis erreur sur erreur qu'il m'a fallu rattraper ce qui a pris des heures, voire des jours, je commence juste à y voir un peu plus clair même si tout n'est pas encore réglé.

    Les impôts jouent l'inertie : il faudrait créer un espace personnel pour ma mère, or je ne dispose pas des identifiants qui sont introuvables chez elle, mes coups de fil ou mails se perdent dans un vide intersidéral. Orange m'a renvoyé le dossier parce que je n'avais pas joint de photocopie de ma carte d'identité (qu'ils ne m'avaient pas demandée quand je les avais appelés). 

    Ma vie se passe désormais en coups de téléphone (avec des délais d'attente invraisemblable quand quelqu'un daigne répondre) qui ne donnent rien, mails qui ne reçoivent pas de réponse, courriers qui restent lettre morte. Et il faut continuer à gérer ma mère qui ne comprends plus rien à rien.

    Alors qu'est-ce que je fais ?

    Tout d'abord, je dirais que je pense faire une dépression. Chaque démarche me semble insurmontable, me demande des efforts surhumains, je tourne parfois une heure dans la maison en sachant que j'ai dix mille choses à faire sans savoir par quoi commencer. Je n'ai plus le goût à grand-chose et tout m'angoisse. Je vois se rapprocher la date fatidique à laquelle je devrai rendre au tribunal un inventaire des biens de ma mère (l'agence immobilière contactée pour faire une estimation n'a plus donné signe de vie, et ce n'est qu'un exemple des difficultés) et un budget prévisionnel. Il me manque des quantités de documents qui me permettraient d'avancer et je ne vois pas comment les obtenir car j'ai déjà tout tenté. 

    Ça n'empêche pas que je fais plein de choses dans une journée : appels téléphoniques, papiers, je continue de faire tourner la maison parce qu'il n'y a pas le choix, mais tout ça dans un état de stress jamais connu. 

    Qu'est-ce que je fais d'autre ? 

    On va dire que ça me ramène au sujet de mon blog : je mange. Je mange de bonnes choses cuisinées par moi, et me mettre à table, déguster sont devenus quasiment les seuls plaisirs de ma vie (et aller me coucher le soir quand c'est enfin l'heure !).

     

    Je suis consciente qu'avoir écrit tout ça ne changera rien à ma situation, que ça n'a rien d'intéressant pour qui éventuellement me lira... mais bon, c'est fait, ça m'a au moins soulagée un peu pendant quelques minutes. 

     

     

     


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